Cadre Renaissance à mascarons, Italie du Nord (vers 1550-1570)

 

Cadre Renaissance à mascarons, Italie du Nord (vers 1550-1570)

Peuplier sculpté, doré et laqué

Dimensions vue : 43 x 34 x 24,5 cm ; fond de feuillure : 45,5 x 36,5 cm

Très bon état de conservation, un simple dépoussiérage a été réalisé.

 

Le décor est composé à la vue d’un motif lombard de feuilles d’acanthes enroulées, disposées au sommet d’une moulure saillante à profil inversé. Sur le côté passe un ruban où s’alternent coquilles à fleurs et mascarons. Le profil du cadre s’élargit par un plat qui, après une torsade, présente des rinceaux de tulipes caractéristiques du Piémont flanqués de mascarons phytomorphes aux quatre angles et se termine par un second palissage de feuilles doublées d’un perlage.

Cet ensemble de motifs situe la conception de ce cadre en Italie du Nord. Celui-ci est surtout remarquable  par la figuration de quatorze masques grotesques, qui participent du caractère animé de son ornementation.

Trois types de mascarons sont identifiables, présentant ce qui semble être une hybridation avec la figure du satyre.

Vus de face se trouvent aux angles des têtes de feuilles tirant la langue de façon malicieuse et montrent les caractéristiques du mascaron fantastique utilisé en Italie à partir des années 1520[1]. Apparaissant dans un second temps d’observation lorsque le spectateur est de côté (fig.3 et 4), les figures grimaçantes qui occupent le profil inversé de la vue sont des têtes de feuille en croissant de lune, motif utilisé en Italie entre 1480 et 1570[2].

D’autres têtes de feuille en croissant de lune aux angles de la moulure saillante se transforment sous nos yeux en satyres dont les oreilles sont formées par le ruban et les cornes par le feuillage enroulé de la vue.

Le sculpteur a ainsi saisi tout le potentiel métamorphique des grotesques, utilisant les composantes du décor pour offrir un jeu visuel complexe.

 

                                     

Les motifs de grotesques, issus de la tradition  romaine classique, furent plébiscités par les artistes et théoriciens de la Renaissance pour leur aspect polymorphe, permettant de développer l’imagination et la fantaisie au sein de systèmes décoratifs et architectoniques en réponse à l’observation d’une nature en mouvement.

En effet, les possibilités plastiques et formelles du mascaron suggèrent la métamorphose, donnent vie à l’objet décoratif grâce à  son regard en partie humain et  en constituent par la même son essence fondamentale. Pirro Ligorio (v.1513-1583), dans son texte théorique en faveur des grotesques tiré de ses Antiquités romaines n’omet ainsi pas « le trasfigurationi delle maschere »[3].

L’origine des mascarons dont notre cadre offre un rare – sinon unique – exemple d’utilisation est à chercher dans les grotesques médiévales, les séraphins du christianisme mais surtout les domaines funéraire, théâtral et agricole de l’Antiquité,  en lien avec l’extase bacchique qui sera un concept prédominant dans l’iconographie des mascarons à la Renaissance, notamment grâce à l’approche néoplatonicienne des rites dionysiaques par Marsile Ficin (1433-1499) et Pic de la Mirandole (1463-1494). Dans les systèmes décoratifs, le mascaron peut  illustrer également le thème cher au néoplatonisme qu’est la lutte entre monde matériel et spirituel qui a pour finalité la mort de la matière imparfaite par l’extase, créant un espace qui est celui de la résurrection et de l’ascension de l’âme[4].

Il apparaît donc clairement que les mascarons présents sur le cadre permettaient d’activer et nier par la-même le décor qui encadrait un tableau possiblement à sujet religieux. Peu d’éléments permettent d’avancer des hypothèses quant à la nature de l’œuvre insérée dans cet imposant écrin. Le premier est les marques d’oxydation au niveau de la feuillure, témoignant de la présence de ce qui semblait être un panneau de bois. Le deuxième élément – selon nous de première importance lorsque nous en venons à tenter de déterminer la nature de l’œuvre – nous est donné par la description d’un voyageur français visitant le palais ducal d’Urbino au premier quart du XXème siècle et que nous rapportons ici :

«Dans la chambre de la duchesse mon attention est surtout captivée par une délicieuse Vierge à l’Enfant et des saints. Entourant le tableau, un cadre ancien, Renaissance, décoré de mascarons et de rinceaux de style raphaëlesque, flamboie discrètement dans ses ors éteints, et quoique passablement vermoulu, constitue une antiquité de premier ordre. La peinture, de style ombrien, était propriété d’Elisabeth de Gonzague, duchesse d’Urbin, qui lui avait voué une affectueuse prédilection que je comprends »[5].

L’analyse succincte des collections actuelles du palais ducal d’Urbino – victimes de dispersions – et de la Galleria Nazionale delle Marche, ne nous a pour l’instant pas permis de retrouver l’œuvre et le cadre dont il est question dans le passage, mais une étude poussée des inventaires du palais ducal pourrait y remédier. Les indications de l’auteur, Paul Hamonic (1857-1923), chirurgien de profession, ont pu être la transcription d’indications données par un cicerone ou autre guide et dont l’exactitude scientifique doit être bien sûr soumise à question.

Si le passage semble décrire  de façon surprenante notre cadre et invite à imaginer l’effet de l’expression malicieuse ou  inquiétante des visages grotesques associés aux arabesques des feuillages lorsque la dorure était éclairée à la lueur des torches, il semble peu probable pour des raisons de datation que notre cadre soit celui qui aurait été présent dans les collections d’Elisabeth d’Este.

Il n’en demeure pas moins que la description qui en est faite se rapproche fortement de notre exemplaire et, surtout, témoigne de l’association entre un cadre à mascarons et un sujet religieux, une Vierge à l’Enfant avec des saints. Ce rapprochement entre grotesque et thème religieux dans un système élaboré pourrait révéler une conception dans un milieu intellectuel de premier ordre et capable d’une lecture symbolique, philosophique et mystique de l’œuvre et de son cadre comme, par exemple, la cour d’Urbino au début du XVIème siècle.

Pour les mêmes raisons et soucieux de retracer la genèse conceptuelle de notre cadre, il ne semble pas fortuit de mentionner dans ce développement celui vraisemblablement

dessiné par Raphaël pour sa Madone Connestabile[6] datée de 1504 et qui présente un mascaron dans l’axe médian du panneau.

Cette lecture demeure toutefois à mesurer afin de ne pas perdre de vue la motivation purement ornementale des motifs et leur efficacité décorative qui a pu être analysée par Dominique Cordellier à l’occasion d’une récente exposition au Louvre sur le sujet. « Quand il n’est pas implanté sur la verticale médiane de la composition, le mascaron est généralement disposé de manière équilibrée de part et d’autre de cet axe principal et sa force s’impose alors par son redoublement. Il semble que dans tous les cas ce soit la symétrie intrinsèque du mascaron qui incite à l’employer sur un axe ou, de façon balancée, de part et d’autre de celui-ci. Cependant la situation latérale peut lui offrir une disposition nouvelle : le profil. Les formes qu’il prend alors renvoient le plus souvent à des modèles antiques : masques d’angle des couvercles de sarcophage, masques en croissant de lune évoquant les peltes de l’armement romain, ou masques intégrés dans une feuille d’acanthe. Employé de la sorte, le mascaron reste un élément parmi d’autres »[7].

Elément parmi d’autres qui reprend, de façon tout à fait rare dans l’histoire du cadre, les fonctionnalités qui sont les siennes au sein de l’architecture monumentale de la période, à savoir l’occupation de l’adoucissement d’une façade, la moulure permettant la transition entre un ornement et le vide d’un mur.

La moulure saillante à la vue permet ici de conférer la tridimensionnalité aux mascarons en croissants de lune phytomorphes dont le vocabulaire semble bien à rattacher à la deuxième moitié du XVIème siècle, signalant une parenté de conception mais aussi une toute autre occupation de l’espace que ceux de profil et en bas-relief présents dans l’architecture civile[8].

D’un point de vue formel, le parallèle entre les croissants de lune habitant la moulure du cadre et un dessin conservé aux Offices (fig. 5) de la main de Giovanni da Udine (1487-1564)[9], initiateur du langage grotesque à la Renaissance et son utilisation dans les systèmes décoratifs par les artistes issus du cercle de Raphaël (1483-1520) après la découverte des grotesques antiques de la Domus Aurea nous semble le plus probant, de même qu’un motif de grotesque peint par Marco da Faenza (1528-1588) dans le cortile du Palazzo Vecchio à Florence (1565) (fig. 7).

De plus, les grotesques du cadre seraient à rapprocher des robustes motifs de la façade latérale de la Loggia del Capitaniato à Vicence, conçue par Andrea Palladio (1508-1580) en 1560-65 et réalisée en 1571-1572, tout en présentant un caractère d’étrangeté difforme propre aux grotesques lombardes de la même période, au moment-même où le mascaron n’est plus un simple motif ornemental visible sur les chandeliers[10] mais une partie intégrante du décor véritablement signifiant.

 

Le cadre que nous présentons est tout à fait important pour l’histoire de l’art, du cadre et de l’ornement en ce qu’il constitue, entre les années 1550 et 1570, une transition dans la conception des règles du décor pensé comme représentation d’un discours et non plus simple support. « Le mascaron intervient en tout cas là où une force s’exerce, où un soutien s’impose, où un passage s’ouvre »[11].

 

 

 

 

 

 

 

[1] Ibid., Yi-Wen Annette YEH, Les mascarons au XVIe et XVIIe siècles en Italie et en France, Atelier national de reproduction de thèses, Lille, 2008, p.  93 et 164

[2]Ibid., p. 156.

[3] Pirro LIGORIO, Libro dell’Antichità, manuscrit autographe de Turin, VI, sv. Grottesche, fol. 151-161, in Nicole DACOS, La découverte de la Domus Aurea et la formation des grotesques à la Renaissance, Londres, The Warburg Institute, University Of London ; Leyde, E.J Brill, 1969, p. 163.

[4] Voir à ce propos César Garcia ALVAREZ, El simbolismo del grutesco renacentista, Léon, Universidad de Léon, 2001, p. 145-147.

[5]Paul HAMONIC, Promenades à travers l’Italie d’autrefois : de Paris à Pérouse en automobile, Paris, hôtel de la Revue clinique d’andrologie et de gynécologie, 1915, p. 156-157.

[6] Raphaël, Madonne Connestabile, tempera sur bois transférée sur toile (1881), 17,9 x 17,5 cm, 1504, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, inv. ГЭ-252

[7]Dominique CORDELLIER, « Le mascaron au XVIème siècle, une « bizarrerie » », in Françoise VIATTE (dir.),  Masques, mascarades, mascarons, (cat. exp.)[ Paris, Musée du Louvre, 19 juin-22 septembre 2014], Paris, Musée du Louvre ; Milan, Officina Libraria, 2014,  p. 151.

[8] On pense par exemple aux croissants de lune et têtes de feuilles de la casa Crivelli à Rome (1538-39) dont il ne nous paraît pas inutile de rappeler que le commanditaire était d’origine lombarde.

[9] Giovanni da Udine, Etude pour décor (détail), Florence, Offices, Gabinetto Disegni e Stampe, inv. 460 s (fig.5)

 

[10] Comme ceux peints par exemple à la fin du XVème siècle par Filippino Lippi (1457-1504) dans le Triomphe de Saint Thomas d’Aquin sur les hérétiques pour la chapelle Carafa  à Santa Maria Sopra Minerva (1489-91).

 

[11] Dominique CORDELLIER, op. cit., p. 149.

 

 

 

 

 

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